Le Procureur du Mécanisme annonce que tous les fugitifs mis en accusation par le TPIR ont pu être retrouvés
Aujourd’hui, le Bureau du Procureur du Mécanisme annonce qu’il a retrouvé la trace de tous les fugitifs mis en accusation par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (le « TPIR ») pour des crimes commis pendant le génocide des Tutsis au Rwanda en 1994. Il a conclu que les deux derniers fugitifs – Ryandikayo et Charles Sikubwabo – étaient décédés. Pour ce qui est du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (le « TPIY »), le dernier fugitif a été arrêté en 2011. Par conséquent, il ne reste aujourd’hui plus aucun fugitif mis en accusation par le TPIR et le TPIY, tribunaux qui avaient été créés par le Conseil de sécurité dans les années 90 pour instruire et juger le génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre commis au Rwanda et dans les pays issus de l’ex-Yougoslavie.
En réaction à l’annonce faite aujourd’hui, le Procureur du Mécanisme Serge Brammertz a déclaré :
Dès les premiers actes d’accusation délivrés il y a près de 30 ans, le TPIR et le TPIY ont dû faire face au défi majeur de rechercher et de retrouver les fugitifs. Enquêter sur les crimes et mettre en accusation les principaux suspects n’étaient que les premières étapes – la tâche la plus ardue était de les retrouver et de les arrêter.
Des difficultés immenses se sont présentées, qu’il s’agisse du manque de volonté politique de certains pays pour exécuter les mandats d’arrêt ou des moyens ingénieux mis en œuvre par les fugitifs pour dissimuler leur identité et l’endroit où ils se trouvent. Beaucoup ont commencé à douter que des fugitifs tristement célèbres, comme Félicien Kabuga ou Ratko Mladić, soient un jour arrêtés.
Pourtant, ces obstacles ont pu être surmontés grâce à la persévérance et aux compétences techniques de notre équipe dévouée chargée de la recherche des fugitifs. Ainsi, mon Bureau et moi‑même nous réjouissons qu’aujourd’hui cette tâche ait été menée à son terme. Fait inédit pour la justice pénale internationale, on a retrouvé la trace de tous les fugitifs mis en cause par le TPIR et le TPIY.
Cette réussite atteste l’engagement absolu des Nations Unies à juger les personnes mises en accusation par le TPIR et le TPIY. Elle démontre concrètement que la communauté internationale peut faire en sorte que les responsabilités soient établies.
Je souhaite mettre en avant le soutien indéfectible du Conseil de sécurité. Lorsque j’ai été nommé aux fonctions de Procureur du Mécanisme en 2016, j’ai expliqué que retrouver tous les derniers fugitifs était une priorité fondamentale et j’ai demandé le temps et les ressources nécessaires à l’accomplissement de cette mission. Sans l’attention constante qu’a portée le Conseil de sécurité à cette question, y compris par ses résolutions, nous n’aurions jamais réussi.
Les efforts que nous avons déployés du début jusqu’à la fin ont également démontré que les fugitifs internationaux ne peuvent être retrouvés qu’en pouvant compter sur une étroite coopération entre les autorités internationales et les autorités nationales. Ces dernières années en particulier, nous avons pu bénéficier de la coopération exceptionnelle de plusieurs pays africains, à commencer par le Rwanda, mais également beaucoup d’autres. Nous avons également été assistés dans nos travaux par des États Membres en Europe et en Amérique du Nord. En œuvrant en partenariat avec mon Bureau, les forces de l’ordre nationales ont joué un rôle essentiel pour retrouver des fugitifs internationaux.
Ce qui importe le plus aujourd’hui, c’est de saluer les rescapés et les victimes du génocide des Tutsis au Rwanda en 1994 et de commémorer le 30e anniversaire de leurs souffrances. Mon Bureau est touché par la confiance qu’ils nous ont accordée pour obtenir justice en leur nom, confiance que nous nous sommes efforcés de ne jamais trahir.
C’est la raison pour laquelle, à l’heure où nous célébrons la fin de la recherche des derniers fugitifs mis en cause par le TPIR, il est important de rappeler qu’il y a toujours plus de 1 000 génocidaires en fuite qui sont recherchés par les autorités nationales. Les localiser sera difficile, comme ça l’a été pour le TPIR et le TPIY. À la demande des partenaires nationaux, y compris du Procureur général du Rwanda, mon Bureau continuera d’apporter une assistance essentielle aux efforts qu’ils déploient pour traduire ces personnes en justice. Si nous devons nous réjouir qu’il n’y ait plus de fugitifs mis en cause par le TPIR, cette tâche ne peut pas prendre fin avant qu’aient été jugés tous les auteurs des crimes commis pendant le génocide des Tutsis au Rwanda en 1994.
Depuis 2020, l’équipe du Bureau du Procureur chargée de la recherche des fugitifs a pu retrouver tous les huit derniers fugitifs mis en cause par le TPIR. Le Bureau du Procureur a arrêté deux fugitifs, Félicien Kabuga à Paris (France) en mai 2020, et Fulgence Kayishema à Paarl (Afrique du Sud) en mai 2023. Il a confirmé le décès de six autres fugitifs : Augustin Bizimana, Protais Mpiranya, Phénéas Munyarugarama, Aloys Ndimbati, Ryandikayo et Charles Sikubwabo.
Charles Sikubwabo
Aujourd’hui, le Bureau du Procureur confirme le décès de Charles Sikubwabo, l’un des derniers fugitifs mis en accusation par le TPIR.
Charles Sikubwabo était né en 1948 dans la cellule de Bugina, commune de Gishyita, dans la préfecture de Kibuye. Après l’enseignement primaire, il avait servi au sein des Forces armées rwandaises (FAR), et avait pris sa retraite avec le grade d’adjudant-chef. Il avait ensuite été désigné bourgmestre de la commune de Gishyita, dans la préfecture de Kibuye, comme membre du Mouvement démocratique républicain (MDR), fonctions qu’il exerçait au moment du génocide des Tutsis au Rwanda en 1994.
Charles Sikubwabo avait été mis en accusation pour la première fois par le TPIR en novembre 1995. Il était accusé de génocide, de complicité dans le génocide, d’entente en vue de commettre le génocide, d’assassinat constitutif de crime contre l’humanité, d’extermination constitutive de crime contre l’humanité et d’autres actes inhumains constitutifs de crimes contre l’humanité. Avec Elizaphan Ntakirutimana et Gerard Ntakirutimana, qui ont été condamnés par le TPIR, Charles Sikubwabo était accusé d’avoir mené des attaques le 16 avril 1994 contre des Tutsis réfugiés au complexe de Mugonero dans la préfecture de Kibuye, qui comprenait une église, un hôpital et d’autres bâtiments. Ainsi, des centaines de réfugiés ont été assassinés et un grand nombre blessés. Dans les mois qui ont suivi, Charles Sikubwabo a recherché des rescapés et mené des attaques contre eux lorsqu’ils étaient retrouvés. Il était également accusé d’avoir participé à des massacres à l’église catholique et au complexe du Home Saint-Jean dans la ville de Kibuye, au stade de la ville de Kibuye, à l’église de Mubuga, et à plusieurs endroits dans la région de Bisesero, qui ont entraîné la mort de milliers de Tutsis. Ces crimes ont été jugés par le TPIR dans le cadre des affaires concernant Clement Kayishema, Ignace Bagilishema, Vincent Rutaganira, Mika Muhimana et Obed Ruzindana.
En juillet 1994, Charles Sikubwabo et sa famille ont fui le Rwanda pour se rendre à ce qui était à l’époque le Zaïre, et qui est aujourd’hui la République démocratique du Congo (RDC), où ils ont résidé dans le camp de Kashusha. En novembre 1996, en raison de combats opposant des forces de l’armée rwandaise à des milices d’ethnie hutue le long de la frontière entre le Rwanda et la RDC, Charles Sikubwabo et sa famille ont fui à l’ouest. Charles Sikubwabo a été séparé de son épouse et de ses jeunes enfants, qui sont finalement retournés au Rwanda, tandis que lui s’est rendu en République du Congo et en République centrafricaine, avant d’arriver au Tchad vers la fin de l’année 1997.
Au terme d’une enquête approfondie, le Bureau du Procureur a pu conclure que Charles Sikubwabo était décédé à N’Djamena (Tchad) en 1998 et qu’il y avait été inhumé. Un petit nombre de personnes ont assisté aux obsèques, et Charles Sikubwabo a été enterré dans une tombe anonyme d’un cimetière public de la localité. Ce cimetière a ensuite subi des dégradations en raison d’importantes inondations survenues plus tard cette année-là et les années qui ont suivi.
Ryandikayo
Aujourd’hui, le Bureau du Procureur confirme le décès de Ryandikayo, l’un des derniers fugitifs mis en accusation par le TPIR.
Ryandikayo était né dans la commune de Gishyita, dans la préfecture de Kibuye. Il avait été entrepreneur dans cette région et y avait exploité un restaurant et une briqueterie.
Ryandikayo avait été pour la première fois mis en accusation par le TPIR en novembre 1995, avec de nombreuses autres personnes, pour des crimes commis dans la préfecture de Kibuye. Il était visé par sept chefs d’accusation, à savoir génocide, complicité dans le génocide, entente en vue de commettre le génocide, assassinat constitutif de crime contre l’humanité, extermination constitutive de crime contre l’humanité, viol constitutif de crime contre l’humanité et persécution constitutive de crime contre l’humanité. Avec Clement Kayishema, Mika Muhimana et Vincent Rutaganira, qui ont été condamnés par le TPIR, et Charles Sikubwabo, mis en accusation par le TPIR, Ryandikayo était accusé d’avoir commis des crimes contre des Tutsis dans la commune de Gishyita dès le 7 avril 1994, y compris au dispensaire de Mubuga, à l’église de Murangara et à l’église de Mubaga. Il était également accusé d’avoir incité et participé à des massacres à plusieurs endroits dans la région de Bisesero, qui ont entraîné la mort de milliers de Tutsis.
En juillet 1994, Ryandikayo a fui le Rwanda pour se rendre à ce qui était à l’époque le Zaïre, et qui est aujourd’hui la République démocratique du Congo (RDC). En novembre 1996, il résidait au camp de Kashusha mais, en raison de combats dans la région, il a fui vers l’ouest, comme l’ont fait de nombreux hommes rwandais d’ethnie hutue. Ryandikayo avait déjà des problèmes de santé avant de quitter le Rwanda en juillet 1994, lesquels se sont aggravés au cours de son périple. Il a fui pour se rendre dans un camp en République du Congo, où il a été recruté pour rejoindre la milice armée d’ethnie hutue qui est devenue plus tard les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR). Il s’est ensuite rendu à Kinshasa (RDC) à cette fin.
Au terme d’une difficile enquête, le Bureau a pu conclure que Ryandikayo était décédé en 1998, très vraisemblablement des suites d’une maladie, quelque temps après être arrivé à Kinshasa.