Allocution du Procureur Brammertz devant le Conseil de sécurité de l’ONU

Procureur
Arusha, La Haye
Prosecutor at UNSC

Aujourd’hui, Serge Brammertz, Procureur du Mécanisme international appelé à exercer les fonctions résiduelles des Tribunaux pénaux (le « Mécanisme »), a pris la parole devant le Conseil de sécurité de l’ONU (le « Conseil ») pour présenter les travaux du Bureau du Procureur (le « Bureau »).

Le Procureur Brammertz a commencé par informer le Conseil de l’état d’avancement des dernières questions pendantes devant le Mécanisme, en ce qui concerne notamment la procédure en révision dans l’affaire Ntakirutimana et la procédure pour outrage dans l’affaire Šešelj et consorts.

S’agissant de la récente décision par laquelle la Chambre d’appel a rejeté les griefs formulés par Gérard Ntakirutimana contre les déclarations de culpabilité prononcés contre lui, le Procureur a fait remarquer que, dans cette affaire, et dans la récente procédure en révision dans l’affaire Ngirabatware, il existait des preuves solides que des témoins avaient subi des pressions pour revenir sur leurs dépositions antérieures. Le Procureur Brammertz a déclaré ce qui suit : « [m]on Bureau continuera de préserver l’intégrité des jugements et arrêts rendus par le passé en enquêtant sur des rétractations alléguées afin d’établir si des pressions indues ont été exercées sur des témoins. Les procédures en révision ne peuvent devenir un moyen pour les personnes condamnées de réécrire l’histoire et d’effacer les crimes qu’ils ont commis en fabriquant des éléments de preuve ».

En ce qui concerne l’affaire Kayishema, le Procureur a informé le Conseil que Fulgence Kayishema était toujours en Afrique du Sud, où il conteste son transfèrement au Mécanisme à Arusha puis au Rwanda afin d’y être jugé. Le Procureur Brammertz a expliqué que « [c]ette affaire ne pourra[it] être menée à terme que si l’Afrique du Sud s’acquitt[ait] des obligations internationales qui lui sont faites de remettre Fulgence Kayishema au Mécanisme ».

Le Procureur a ensuite évoqué le projet mené conjointement par son Bureau et le Comité international de la Croix-Rouge (le « CICR ») pour soutenir la recherche des personnes disparues lors des conflits en ex-Yougoslavie. Ce projet commun a été lancé en octobre 2018. Au cours de la période considérée, le Bureau du Procureur a mené à bien ses activités principales. Ces six dernières années, il a recherché, dans sa collection d’éléments de preuve, des informations concernant plus de 12 000 personnes disparues et transmis au CICR environ 500 000 pages d’éléments de preuve ainsi qu’une grande quantité de photographies et de documents audiovisuels. Le Procureur a souligné que la recherche de personnes disparues était un impératif humanitaire et il a fait remarquer que ce projet mené conjointement par son Bureau et le CICR « devrait servir de modèle pour la manière dont les enquêteurs et les procureurs, même après la clôture des affaires sur lesquelles ils travaill[ai]ent, p[ouvaient] exploiter les éléments de preuve qu’ils [avaient] recueillis pour apporter un soutien continu à la recherche de personnes disparues ».

Enfin, le Procureur Brammertz a informé le Conseil au sujet des travaux menés par son Bureau pour aider les autorités nationales à continuer d’établir les responsabilités pour les crimes commis au Rwanda et en ex-Yougoslavie.

Si des résultats importants ont déjà été obtenus, il reste encore beaucoup à faire. Au Rwanda, plus d’un millier de fugitifs génocidaires doivent encore être retrouvés. En ex-Yougoslavie, plusieurs milliers de suspects doivent encore faire l’objet d’enquêtes, et le cas échéant, de poursuites, parmi lesquels 500 suspects dont l’affaire doit être renvoyée de la Bosnie-Herzégovine vers d’autres pays de la région. De même, les États tiers continuent d’appliquer des politiques de « refus de refuge » et de faire en sorte que les personnes soupçonnées de crimes de guerre ou de génocide soient extradées ou poursuivies en justice.

Le Bureau du Procureur apporte une aide inestimable dans ces démarches. Comme l’a fait remarquer le Procureur Brammertz, « il est clair qu’[…] aujourd’hui, les États Membres ont plus que jamais besoin de notre aide. En 2024, mon Bureau aura reçu plus de 400 demandes d’assistance, soit un des plus grands nombres de demandes que nous ayons jamais reçues en une année ».

Devant le Conseil, le Procureur a donné des exemples de la manière dont son Bureau aidait ses partenaires nationaux à établir encore davantage les responsabilités.

Récemment, le Bureau du Procureur a aidé les autorités rwandaises à mener une enquête importante, notamment en élaborant avec elles un plan d’enquête très complexe qui a permis de recueillir des éléments de preuve d’une grande utilité. Il travaille également sur d’importants dossiers en vue de retrouver des fugitifs qui échappent à l’établissement de leurs responsabilités depuis 30 ans.

De même, le Monténégro a demandé à mon Bureau de renforcer de manière significative la collaboration avec lui afin que nous l’aidions à enquêter sur des crimes de guerre et à en poursuivre les auteurs. À travers le groupe de travail conjoint mis sur pied l’an dernier, le Bureau du Procureur a fourni un soutien important en matière d’instruction dans une affaire importante. Il a également aidé à établir l’acte d’accusation dans une affaire distincte.

Enfin, le Bureau du Procureur travaille avec d’autres États Membres qui enquêtent sur ces crimes et en poursuivent les auteurs. Près d’un tiers des membres actuels du Conseil de sécurité sont concernés, avec l’intervention notamment du Parquet national antiterroriste français, du Commandement antiterroriste du service de police métropolitaine de Londres (Royaume-Uni), de la division relative à la législation sur les violations des droits de l’homme du Service d’immigration et des douanes des États-Unis (U.S. Immigration and Customs Enforcement) et de la division Entraide judiciaire, Terrorisme, Droit pénal international de la Police fédérale suisse. Avec tous ces partenaires, le Bureau du Procureur apporte une assistance active en matière d’enquêtes en fournissant des éléments de preuve et des conseils sur tout un éventail de sujets.

Comme l’a expliqué le Procureur Brammertz devant le Conseil, « [l]e temps passe, certes, mais c’est une raison pour travailler d’autant plus et accélérer le rythme des enquêtes plutôt que de le ralentir. L’ensemble de nos partenaires nous font savoir qu’il leur reste un grand nombre d’affaires à traiter et qu’ils travaillent le plus vite possible. Ils demandent donc à mon Bureau d’accroître l’assistance qu’il leur apporte et de renforcer la coopération avec leurs procureurs ».

En conclusion, le Procureur Brammertz s’est félicité des délibérations en cours au sein du Conseil au sujet de l’avenir du Mécanisme, qui a toujours eu pour vocation d’être une institution temporaire. À cet égard, il a fait remarquer ce qui suit : « [c]omme le montre concrètement notre charge de travail, nous fournissons un soutien essentiel aux États Membres, et ce soutien a une incidence importante. C’est un signe positif, et la confirmation que le processus de justice est sur la bonne voie. Il convient de préserver et de soutenir ces avancées. C’est aussi notre responsabilité commune à tous, pour les victimes et les rescapés, qui attendent encore de l’ONU qu’elle soutienne le processus de justice ».